29 mai.
Thomas Royde, la pipe aux dents, surveillait le premier de ses boys malais, qui s’activait autour de ses bagages. De temps à autre, son regard se portait sur la plantation. Un paysage qui, depuis sept ans, lui était devenu familier et qu’il ne verrait plus pendant six mois.
Ça lui semblerait drôle de se retrouver en Angleterre.
La haute stature d’Allen Drake, son associé, s’encadra dans l’embrasure de la porte.
— Alors, Thomas, bientôt prêt ?
— Tout est paré !
— Alors, viens arroser ça, heureux coquin ! Je crève de jalousie !
Thomas Royde – une silhouette assez lourde, mais un visage ouvert et loyal – ne répondit pas. C’était un homme qui parlait peu et ses amis avaient appris à juger de ses réactions par la nature même de ses silences. Mais il se mit en route, traversant la pièce pour rejoindre son ami. Il marchait de façon assez bizarre, un peu de travers à la manière des crabes, ce qui lui avait valu le surnom de Bernard-l’Ermite. Souvenir d’un tremblement de terre, dans lequel il avait été coincé dans une porte. Depuis, son bras droit ne lui servait plus guère et cette infirmité, comme aussi la réserve de ses manières, portait assez souvent les gens à le croire gauche et timide. Il ne l’était pourtant que par occasions.
Allen Drake prépara les boissons, leva son verre et dit :
— Alors, mon petit vieux, à tes vacances !
Royde répondit par un vague grognement.
Allen Drake sourit.
— Toujours flegmatique, à ce que je vois ! dit-il. Je ne sais pas comment tu peux faire !… Il y a combien de temps que tu n’es pas allé en Angleterre ?
— Sept ans… Presque huit !
— Ça commence à bien faire !… Le miracle, c’est que tu ne sois pas devenu tout à fait un indigène !
— Je le suis peut-être devenu…
Il y eut un silence.
— Et tu as fait des projets pour la durée de ton séjour là-bas ? demanda Drake.
— Mon Dieu… Oui et non…
Le visage tanné de Thomas Royde avait viré au rouge brique.
— Tiens ! Tiens ! s’exclama joyeusement Drake. Il y a une femme là-dessous !
— Ne dis donc pas de bêtises !
Royde tira de sa vieille pipe quelques bouffées précipitées, puis, rompant avec toutes ses habitudes, il prolongea la conversation. Généralement, il ne parlait jamais le premier.
— J’ai idée, dit-il, que je vais trouver du changement là-bas !
— Je me suis toujours demandé, fit Drake, pourquoi, à ton dernier congé, tu avais brusquement décidé de ne pas aller en Angleterre. Et au dernier moment encore !
Royde haussa les épaules.
— Cette chasse aux fauves me tentait… Et puis, je venais de recevoir de mauvaises nouvelles d’Angleterre.
— Excuse-moi, je l’avais oublié… La mort de ton frère, tué dans ce stupide accident d’auto…
Royde fit oui de la tête.
Drake, cependant, se disait que c’était là une raison bien curieuse de renoncer à un séjour en Angleterre. Après tout, Thomas avait une mère et, à ce moment-là plus qu’à tout autre, elle eût été heureuse de le revoir. Et, soudain, Drake se souvint d’une chose : Thomas avait annulé son passage avant que ne lui parvînt la nouvelle de la mort de son frère. Drôle d’oiseau, quand même !
— Ton frère et toi, dit-il, vous étiez de grands copains ?
— Adrian et moi ?… Pas tellement !… On n’avait pas suivi les mêmes routes. Il était au barreau…
— Oui, bien sûr. C’est une autre existence que la nôtre. Un appartement à Londres, des soirées, des dîners, une vie qu’on gagne en faisant travailler sa langue…
Drake pensait qu’Adrian devait, en effet, être un type bien différent de Thomas-le-Taciturne.
— Ta mère vit toujours ? demanda-t-il.
— Oui.
— Et tu as aussi une sœur, je crois ?
— Non.
— Ah ? Je croyais… Sur cet instantané, pourtant…
— Ce n’est pas ma sœur, c’est une parente, une vague cousine… Élevée avec nous parce qu’elle était orpheline…
Drake remarqua que, cette fois encore, un peu de rouge venait aux joues bronzées de son ami.
— Mariée ? demanda-t-il.
— Elle l’était. C’est elle qui avait épousé ce Nevile Strange dont je t’ai parlé…
— Ah, oui !… Le joueur de tennis…
— Oui. Ils ont divorcé.
Drake ne dit rien, mais sa conviction était faite : Royde n’allait en Angleterre que pour courir sa chance auprès de la « vague cousine ».
Charitable, il parla d’autre chose.
— Tu as l’intention de pêcher ou de chasser ?
— Pour commencer, je vais à la maison. Après, j’irai sans doute faire un peu de voile à Saltcreek.
— Je connais. Un gentil coin… Avec un délicieux petit hôtel à la mode d’autrefois…
— Le Balmoral… C’est là que je descendrai, si je ne vais pas chez des amis à moi qui ont une maison là-bas…
— Sympathique, tout ça !
— Oui. Ce qui me plaît surtout, c’est que Saltcreek est un endroit tranquille. On ne s’y écrase pas !
— Pour ça, non ! fit Drake. C’est un de ces trous où il ne se passe jamais rien !